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Rencontre (Fraouctor 629)



Il y a des manières plus douces pour rejoindre le monde des vivants, mais pour Khyrra, ce fut la rencontre plutôt rude avec une paillasse qui la tira de son inconscience. Sous le choc, elle se fit l’effet d’un sac de patates jeté dans un coin et un couinement de douleur.

- Réveillée ? Ca tombe bien… ou mal, c’est affaire de point de vue. Tu es riche ?

Khyrra pouvait lire la rapacité dans le regard de l’homme, une avidité sans borne. Elle y lisait également bien d’autres choses, mais elle avait l’esprit bien trop embrumé par la souffrance pour chercher leur signification. Qui il était, ce qu’il était, ce qu’elle faisait là, tout cela n’avait aucune importance. Sur l’instant, tout ce qui comptait c’était de rester en vie. Mais quitte à y rester, autant détruire tous les espoirs de son ravisseur.

« Je t’en pose de ces questions… »

- Non, je n’ai aucune richesse à piller…


- Hum, pas d’argent, pas de guérisseur. Mais je ne vais pas laisser mourir une coreligionnaire, surtout aussi charmante. Ca sera juste du rafistolage rustique…

D’une main ferme et forte, il obligea la sacrieuse à s’allonger avant de retirer les lambeaux de cape collés à son dos et d’inspecter sa blessure.

- Ne bouge pas !

Il disparut de longues minutes, laissant une Khyrra un peu plus rassurée sur son sort immédiat à ses interrogations. Tellement absorbée d’ailleurs qu’elle ne le vit pas revenir et fut surprise lorsqu’un liquide se déversa sur son dos. L’eau était limite bouillante, mais sur la plaie à vif maculée de boue, elle fit l’effet d’un baume apaisant. Khyrra se laissa aller à ce maigre réconfort avec un soupir de soulagement. Jusqu’à ce que la douleur aigue d’une piqûre la fasse bondir, et raviver d’autant plus les maux infligés par sa blessure.

- Mais bordel ! Ca fait mal !

En combat, avec l’adrénaline et la joie d’étriper amicalement n ennemi, la sacrieuse pouvait endurer le pire, mais au repos, elle se montrait nettement plus douillette.

- Faible femme... SI tu préfères, je laisse la plaie ouverte et ça mettra des semaines à cicatriser. Ou tu te comportes en sacrieuse digne de ce nom et tu subis en silence. A toi de voir…

La sacrieuse ne releva pas. L'inconnu avait raison et rouspéter plus avant n'arrangerait rien à sa situation. Elle se contenta donc de baisser la tête avec résignation et de serrer les dents à chaque fois que l'aiguille perçait sa chair. Par moment, elle tenta bien de relancer la conversation histoire d'en apprendre un peu plus, mais le silence obstiné de l'autre finit par la décourager.

Lorsque le travail de couture prit fin, il lui apporta une tasse d'un breuvage acre à la forte odeur de plantes macérées, qu'il lui tendit avec insistance jusqu'à ce qu'elle l'eut absorbé jusqu'à la dernière goutte. A peine eut-elle le temps de reposer le contenant qu'elle s'écroula, plongée dans un sommeil sans rêve.

Des jours qui suivirent, Khyrra ne garda aucun souvenir, hormis quelques instants de fugace lucidité entrecoupés de délires fiévreux, du goût pâteux d’une bouillie de céréales et celui, abominable, des diverses potions. Elle se savait droguée mais ne pouvait rien faire d’autre que de se plier à la volonté de l’homme, mue bien plus par un profond instinct que par un désir conscient de survivre. Au moins l’inconscience lui offrait-elle un refuge sur le chemin de la guérison.

Toute notion de temps s’étant envolée, et d’ailleurs Khyrra s’en moquait-elle bien à cet instant, ce ne fut que bien des jours plus tard, ou des semaines, que la jeune émergea parmi les vivants. La pièce était sombre, encore plongée dans les dernières ombres de la nuit mourante. Ce fut l’air frais d’une brise humide qui tira la sacrieuse de son repos. Tandis que ses yeux s’habituaient aux ténèbres environnantes, ses premières pensées furent qu’il avait dû pleuvoir cette nuit là, jusqu’à ce qu’elle réalisa leur incongruité alors qu’elle n’était même pas fichue de se rappeler ce qu’elle faisait dans cette cabane inconnue. A l’extrémité de la pièce, une porte de bois était entrouverte et laissait apercevoir les premières lueurs du jour. De là provenait le courant d’air ressentit plus tôt.

Perplexe, la sacrieuse décida de tirer cela au clair. Le premier mouvement qu’elle fit suffit à la clouer sur sa couche, et tout lui revint en mémoire : l’embuscade, le combat perdu d’avance, la dague déchirant son dos, l’inconnu, et pour finir, le néant. L’inconnu… Khyrra ne détestait rien tant que de se retrouver en état de faiblesse, il fallait toujours qu’elle domine la situation. Se retrouver ainsi à la merci du premier venu lui était insupportable. Il fallait qu’elle sache ! Se maudissant de s’être fourrée dans un tel calvaire, lentement, à gestes mesurés, elle entreprit de se lever, frissonnant à chaque élancement que sa blessure provoquait. Les quelques pas l’éloignant du lit furent hésitants, mais ignorant la douleur, la sacrieuse sortit dans l’ai frais du petit matin. L’impression de calme et de sérénité du lieu lui fit oublier son impatience. La cabane semblait hors du temps, dans une nature surréaliste baignée dans l’étrange lumière de l’aube.

Ce fut une mélopée sourde qui la tira de sa contemplation. Un peu plus loin, à l’ombre d’un chêne séculaire, assis en tailleur, meumeumant au dessus d’un feu de camp sur lequel mijotait quelque infâme mixture, se tenait son sauveur. Khyrra grimaça en reconnaissant l’odeur acre. Il semblait ne pas avoir remarqué sa présence, absorbé qu’il était par le touillage se son creuser, aussi mit-elle à profit ces quelques minutes pour le détailler : c’était un sacrieur, tout comme elle, mais beaucoup plus agé, et malgré le corps puissamment bâti d’un guerrier au long cours, ses cheveux noirs noués en catogan se striaient du gris du temps. Le genre de personne que l’on évite de déranger pour des futilités… Après quelques hésitations, la jeune femme se décida à approcher.


- Merci…

Son sauveur leva la tête et la fixa de son regard gris acier, un regard de tueur. Khyrrarecula instinctivement et cela suffit à faire sourire son interlocuteur. Un sourire qui disparut bien vite…

- Merci de ? D’avoir sauvé ta misérable existence ? Merci de t’avoir fait contracter une dette. Une dette de vie ! Cela te coûtera cher, et pas seulement en kamas. Tout se paye ici bas, aussi bien la vie que la mort.

Sans lui laisser le temps d’en placer une, il enchaîna.

- A combien estimes-tu le droit de fouler cette terre ? D’être toujours de ce monde contrairement à ces autres diables que tu as occis ? Ou ne vaux-tu pas mieux, au point que si je t’avais laissé crever dans la boue, le monde ne s’en serait pas porté plus mal ?

Khyrra resta figée devant un accueil aussi chaleureux.

« Il est barge, totalement barge… Pourquoi y-a-t-il fallu que je tombe sur le seul taré traînant dans le coin ? Comment est-ce que je fais pour retourner dans un pays plus civilisé ? »

Passée la première minute de stupéfaction, la sacrieuse décida de s’en accommoder. Haussant les épaules, elle alla s’asseoir en marmonnant de l’autre côté du feu.

- Dans ce cas, il fallait me laisser crever. Ca n’aurait certainement pas changé grand-chose pour vous, et pour moi, ça m’aurait épargné votre philosophie à deux kamas.

Alors qu’elle s’attendait à une répartie cinglante, le sacrieur éclata de rire.

- Soit t’as un aplomb phénoménal, soit tu n’attends vraiment plus rien de la vie. Dans les deux cas, tu gâches ton existence dans une guerre inutile. Ou tu fais parti de ces cinglés qui vénèrent les démons.

Khyrra releva la tête, un air de défi et de colère dans le regard.

- Je ne sers que moi ! Et personne d’autre ! Bonta et Sacrieur paieront pour ce qu’elles ont fait !

Le sacrieur fronça les sourcils et cela suffit à interrompre la diatribe de la jeune femme. D’instinct, elle le craignait et le respectait, sans pouvoir se l’expliquer. Ildégageait une aura qui la faisait se sentir une toute petite fille prise en faute.

- Je ne sais rien de ton histoire et je ne veux rien en savoir. Mais saches bien une chose, on ne se venge pas des dieux. Ils n’en ont strictement rien à cirer des pauvres mortels que nous sommes, alors ta petite croisade ne te servira à rien si ce n’est à détruire une vie que tu pourrais avoir heureuse. Ca n’est pas en te faisant tuer pour Brakmar que tu changeras ce qui a pu se passer. Si vraiment tu tiens à emmerder ta déesse, renies-là. Tu perdras tes pouvoirs et elle une fidèle, mais tu seras libre. Libre et faible. Et ça, tu ne le veux pas, je le lis dans tes yeux. Tu es trop assoiffée de puissance pour aller jusque là. Que gâchis…

- Gachis que je veuille me battre pour mes opinions ?!!!

- Gâchis que tu choisisses les mauvais moyens ! Il y a d’autres voies que celles d’un pion sacrifiable…

- Et lesquels ? Etre un vulgaire rodeur qui détrousse les cadavres ?!!

- Mieux que d'être aveugle à ce point...

Khyrraréalisa qu'elle avait été trop loin. Ce type lui avait sauvé la vie et elle réagissait comme... une brakmarienne, sans aucune considération pour autrui. Ne sachant que faire et n'ayant nullement envie de s'excuser, elle laissa un lourd silence s'installer. Pendant ce temps, le sacrieur ne la quittait pas des yeux, l'étudiant comme on le ferait d'une bête mise à la vente.

- Quel est ton nom?

- Khyrra.

- Et bien Khyrra, tu n'auras plus besoin de cela maintenant.

D'un geste, il reversa son creuset sur le feu, qui s'éteignit en crachant. La sacrieuse sourit, soulagée de ne plus avoir à ingurgiter cette horreur.

- Et vous?

L’homme sembla hésiter un instant, comme si se dévoiler risquer de le mettre en danger, mais il finit par accéder à la demande.

- On m’appelle Synagar. Mes clients n’ont pas besoin de connaître ma véritable identité, ni toi d’ailleurs. D’ailleurs…

« Clients ? »

Alors que la sacrieuse allait l’interroger sur ce point, le fameux Synagar s’était déjà éloigner pour disparaître dans la cabane. La sacrieuse soupira : ce type était étrange, mais elle finirait bien pas savoir de quoi il retournait. Pour le moment, d’autres choses plus immédiates et plus matérielles s’imposaient : son estomac criait famine et elle comptait bien y remédier. En grimaçant, elle emboîta le pas à son sauveur, en espérant bien trouver de quoi se sustenter chez son hôte.

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