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Renaissance (Juinssidor 641) *

(Khyrra / Eorhlinghas)

« Neuf jours… Voila donc mon neuvième jour sur cette terre où j’ai tant aimée et haïe autrefois. Neuf jours que Sacrieur m’a rendue à la vie. Ressucitée…. Qu’ai-je fait pour mériter cette nouvelle chance, moi qui ai passé ma première vie à maudite ma déesse, qui n’ait jamais été une gentille et bonne disciple ? Peut-être est-ce justement ma punition ? Oui, au fond, j’en viens à penser que Sacrieur se venge ainsi, la mort ne m’ayant pas fait ployé devant elle. Du moins, pas honnêtement, sans aucun remord. J’ai sacrifié ma vie pour protéger les miens, mon âme ne lui est revenue que par pur calcul. Khyrra était et restera une manipulatrice, je ne fais rien gratuitement.
Mais me revoila donc de nouveau en vie, avec pour seule consigne de me racheter. Racheter quoi donc ? Même huit vies entières ne suffiraient pas laver mon âme. Et pour devenir un mouton de plus dans le troupeau, non, je n’en ai pas envie. Par contre, recommencer à zéro, prendre un autre chemin, oui, pourquoi pas. Mais comment ? Je ne sais même pas quand nous sommes. Ma famille est-elle encore seulement vivante ou des siècles ont-ils passés ? Ma famille… La seule chose qui me pousserait vraiment à changer.
Les souvenirs de l’après s’effacent rapidement, comme si je ne devais garder aucune trace de l’au-delà. D’ailleurs, je peine à coucher sur ce feuillet ce qui me revient en tête, il ne me reste maintenant plus qu’un sentiment de tristesse intense, de la souffrance aussi. Je ne veux plus y penser… Il me faut vivre maintenant. Et choisir quelle voie suivre. Je ne peux plus rester ici, ignorante du monde, de l’avenir… »


Relevant la tête de son parchemin, Khyrra promena lentement son regard sur le camp autour d’elle. Un feu parvenait encore, pour le moment, à repousser les prémisses de la nuit tombante, mais il ferait bientôt trop sombre pour poursuivre sa rédaction. La sacrieuse soupira. A quoi bon de toute façon, écrire n’avait été qu’une thérapie après son retour à la vie, un moyen de ne pas perdre la raison alors que les événements s’opposaient en tout point avec ses croyances : les morts se doivent de rester mort, et non reprendre le cours de leur existence comme si de rien n’était. Le cri d’un oiseau de proie nocturne partant en chasse l’arracha à ses réflexions.

- Promis, demain, je pars. Il faut que je sache, après, je pourrais envisager d’agir…

Alors que les derniers rayons du soleil disparaissaient derrière l’horizon, la forêt s’anima d’un seul coup. Mille bruissements et frôlement dans les fourrés autour du camp semblaient approuver son départ. Dans cette partie la plus méridionale de la forêt d’Amakna, l’isolement pouvait être total, au point de ne pas croiser âme humaine qui vive pendant des jours, ce qui n’était pas pour déranger la jeune femme.

- Quelle ironie quand même, me faire revenir ici. Tu as de l’humour Sacrieur, je dois bien le reconnaître. Tu dois sans doute espérer que je prenne cela comme un signe, que je renaisse là où ma vie a pris un tournant radical autrefois.

Le petit campement semblait n’avoir point changé alors que des années, qui sait peut être plus, s’étaient écoulées : la cabane en bois avait certes pris un coup de vieux et la mousse mangeait ses parois, mais l’essentiel était là, la même sérénité emplissait les lieux. Les premiers jours, Khyrra s’était presque surprise à espérer voir son ancien maître surgir au détour du chemin, mais elle revenait vite à la réalité, lui aussi n’était plus de ce monde. S’ensuivaient alors de long moments peuplés de tristes de souvenirs. Que ne pouvait-elle revivre cette période qu’elle regrettait amèrement.

Une branche craqua dans le foyer et rejoignit les dernières braises rougeoyantes. La sacrieuse soupira et jeta son parchemin dans les flammes. Demain elle saurait, et quoi qu’il arrive, elle ne voulait pas garder trace des ténèbres de la mort. Elle jeta un peu de terre sur le feu qui finirait de se consumer lentement et gagna son abri de fortune. Sur un coffre vermoulus, quelques vêtements soigneusement empilés, un reste de pain et de viande séchée, ainsi qu’une petite bourse de kamas attendaient près d’un sac de jute, tels qu’elle les avait trouvés à sa renaissance. Comme si quelqu’un avait préparé son retour, lui fournissant le strict nécessaire pour reprendre pied. Khyrra rassembla le tout et le rangea dans le sac, scellant ainsi sa décision, puis elle se laissa tomber avec lassitude sur la paillasse qui lui servait de literie. Là, elle resta à contempler la portion de ciel apparaissant dans l’ouverture de la porte. Cette nuit de fin d’été était douce et les étoiles scintillaient comme autant de minuscules lanternes.


- J’espère qu’il y en a encore une pour veiller sur moi… Ou alors, il va sérieusement falloir que je me remette à fréquenter mon temple.

Sur ces derniers mots, elle ferma les yeux et se laissa bercer par les chuchotements de la nuit.

La route jusqu’au village d’Amakna avait été longue, mais aurait pu prendre bien plus que ces trois jours si quelques kamas n’avaient décidé un marchand à la prendre à bord de sa charrette. L’homme s’était révélé de bonne compagnie, bien que fort bavard, mais elle avait au moins pu lui soutirait une date sans passée pour une illuminée. Et c’est avec le sourire qu’elle avait quitté son moyen de transport en arrivant en vue des premières maisons, non sans avoir remercier son conducteur avec quelques piécettes de plus, pour couper à travers bois et rejoindre sa destination. Un peu plus de deux années s’étaient écoulées depuis qu’elle avait sacrifié sa vie, deux petites années seulement, et avec elles, la chance de retrouver les siens sans que de grands changements ne soient intervenus. Enfin, encore fallait-il que ce damné iop n’ait pas déménagé toute la tribu à l’autre bout du monde…

La forêt s’éclaircit soudain pour donner sur une bande de terrain dégagé. Khyrra s’arrêta sous les dernières frondaisons pour observer les lieux. La maison, SA maison se reprit-elle, n’avait guère changé non plus, tel un îlot intact traversant le temps, depuis son enfance jusqu’à maintenant. Avec ses murs recouverts de torchis, son toit en chaume et son petit jardin clôturé, elle ne se différenciait pas des autres habitations situées à l’extérieur du village, pourtant, Khyrra y était furieusement attachée, au point de n’avoir pas voulu la quitter après la disparition de ses parents. Elle resta quelques dizaines de minutes à la contempler, alors que la pénombre du soir tombait doucement et que les premières lumières apparaissent aux fenêtres. La maison n’était pas déserte, à défaut d’abriter encore les siens. Khyrra hésita à franchir les derniers mètres, se demandant s’il ne valait pas mieux revenir le lendemain, plutôt qu’en oiseau de nuit.

Ses atermoiements prirent soudainement fin par la sortie d’une personne de la maison. Dans la faible luminosité du soir, Khyrra du attendre qu’elle se rapproche un peu pour l’identifier. Cyric, son fils. Le cœur battant la chamade, elle quitta les broussailles et s’avança à la rencontre du jeune homme. Allait-il la reconnaître ? Pire, comment allait-il prendre son retour. La sacrieuse craignait plus que de tout de se voir rejetée. Alors qu’elle n’était plus qu’à quelques pas, elle s’arrêta et attendit, inquiète.


- Theo, mon garçon…

Le sacrieur s'arrêta. Une vision d'horreur s’étalait devant ses yeux. Apres des années a guerroyer, larmoyer, se réconcilier, Khyrra avait su mourir. On avait larmoyé une dernière fois, et elle était partie, disant adieu a tout le monde. Mais il ne faisait aucun doute à Cyric que la femme qu'il avait devant ses yeux était sa mère. La glace qui envahissait ses tripes a l'approche du bourreau d'enfants de vert vêtue était bien plus évocatrice qu'un millier d'indices réunis. Il reste immobile un instant. Un ange passa. Puis il se fendit d'un rictus, et fut pris d'un léger rire, il s'écria.

- Hé, viens voir qui est la !

Puis il sauta avec agilité, escaladant a moitié, pour se poster sur le toit de la batisse. La porte s'ouvrit délcatement, et, d'un pas léger, une Iopette sortit, l'air las. Elle était vétue d'une tunique noire, de protections de la même couleur, aux ligatures blanches, la traditionnelle croix des Iops fendait d'une couleur d'émemraude la sobriété de sa tenue. Ses long cheveux bruns lui tomberent quelque peu devant le visage, mais, d'un mouvement de la tête, elle dégagea son champ de vision.

- Qu'y a-t-il Cyric ? As-tu vu quelque chose qui bougeait ?

La Iopette regarda les alentours, à la recherche de cyric. N'en voyant pas trace elle pris son épée et avancea prudemment le long du chemin plongé dans l'obscurité qui précède a la nuit noire. Elle marchait d'un pas posé, mais assuré, et s'arréta net lorsqu'elle vit la silouhette. Elle toisa la sacrieuse de bas en haut et se mit sur la défensive.

- Je ne sais pas qui tu es l'étrangère, si ta folie t'a fait te perdre ici habillée comme cela ou, si tu es venue troubler la tranquilité d'une famille en ravivant les démons du passé. Tu ferais mieux de t'en aller vite fait, tu ne vas avoir que des ennuis ici.

Son fils avait disparu avant qu'elle ait eu le temps d'ajouter quoi que ce soit de plus. Il lui restait un goût amer, elle avait imaginé d'autres retrouvailles, peut-être même aurait-elle pu aller jusqu'à le serrer dans ses bras, mais Cyric n'avait jamais été un petit garçon ordinaire, ni elle une mère correcte. Le soir tombait de plus en plus vite, il lui fallait choisir entre repartir immédiatement et tenter de voir son mari, avec le risque de recevoir le même accueil.

Khyrra resta surprise quelques secondes, ne s'attendant pas à croiser une femme en ces lieux. Mais très vite, son naturel agressif reprit le dessus.


- Qu'est-ce que ça peut te faire? Je suis ici chez moi! C'est toi l'étrangère ici!

Dans le même temps, elle congitait à toute vitesse. Une femme ici, ça ne pouvait signifier que peu de choses : soit Eorh avait quitté les lieux, ce qui n'expliquait pas la présence de Cyric, soit il avait refait sa vie après son deuil. Khyrra penchait plutôt pour la seconde solution, Cyric était un vagabond dans l'âme et il ne serait pas resté fixé à un endroit aussi chargé de souvenirs sans raisons. Bien que cela lui fasse mal, c'était on ne peut plus normal à ses yeux. Après tout, ne l'avait-elle pas exhorté dans ses dernières heures à ne pas se laisser dévorer par le passé et à recommencer une nouvelle vie. Cette iopette devait avoir du coeur et bien d'autres qualité que la sacrieuse ne possédait pas pour avoir su se faire accepter de Cyric. Si Eorh l'avait choisie, c'est qu'elle devait le combler. Certainement faisait-elle une très bonne mère de remplacement pour Elystrae. Une famille équilibrée, tout le contraire de ce que Khyrra pouvait leur apporter.

* Quel droit ai-je de revenir comme ça et de briser la vie qu'il s'est reconstruit? Tu ne changeras jamais Khyrra, tu ne connais que la mort et la guerre, incapable de renoncer aux combats pour l'amour d'un homme, incapable d'aimer correctement tes enfants, au point que l'un te haïsse et d'avoir confier le second à d'autres pour l'elever pendant que tu courrais l'aventure. Fiche le camp d'ici, tu n'y as plus ta place!

Sa décision prise, Khyrra se radoucit, elle n'avait pas à se déchainer sur cette inconnue qui ne faisait que défendre sa vie privée.

- Excusez-moi, je n'ai plus l'habitude de côtoyer des "vivants" ces derniers temps... Je suis Khyrra, je venais juste prendre des nouvelles d'un vieux compagnon de route, un iop nommé Eorhlinghas, qui résidait ici il y a encore deux ans.

Elle dévisagea ouvertement la iopette, la gorge nouée et le coeur battant.

- Mais je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Si vous le croiser, dites-lui simplement que je ne l'ai pas oublié.

Elle se retourna et fit un pas avant de s'arrêter.

- En fait non, ne le dites rien, ça ne fera que le faire souffrir inutilement, j'ai assez détruit sa vie comme ça...

Ceci dit, elle partit en courant vers la forêt, en une fuite vaine pour échapper au vide terrifiant qui envahissait son coeur. Lorsqu'à bout de souffle, elle s'effondra sur le tapis de feuilles mortes, ses larmes coulèrent comme jamais, mais rien ne venait apaiser la douleur qui noyait son âme.

- Oh Sacrieur, pourquoi ne donnait une seconde chance si c'est pour me priver dès le départ du seul être qui me poussait à accepter tes conditions? Reprend-moi, je ne veux pas de cette vie!

Interloquée, Arahnnor rentra lentement dans la maison. Des années passé a côtoyer Khyrra l'avait rendue paranoïaque en effet, avec cette dernière il était impossible de vivre six mois sans une noise divine qui vous tombe sur la tête. Elle tourna quelques secondes en rond, puis regarda à la fenêtre les environs dans la nuit. Elle serrait les dents, avec un mauvais pressentiment. Après tout, les catastrophes étaient toujours arrivées comme cela. Elle réfléchit rapidement : la fille de khyrra était en sécurité au temple sacrieur, et personne n'attendait la Iopette. elle avait donc les mains libres pour enquêter.

- Je partirai voir ce qu'il en est dès l'aube, résolut-elle.

Elle s'assit sur le lit, souffla ses chandeelles et éteint ses laternes, et s'allongea sur le flanc, son épée entre les jambes. Elle dormit d'un sommeil court et sans rêve, puis se leva d'un bond. elle se débarbouilla et enfila une tunique renforcée, et ses prtections habituelles, puis, son épée a la main, elle sortir en trombe.
Il n'avait pas plu pendant la nuit, ainsi, la piste était encore bien visible. elle la suivit prudemment. Durant ce temps qu'elle marchait, elle se demanda quel genre de traquenard on pouvait bien lui tendre. elle songea rapidement aux malédictions qu'elle avait envoyé à la soeur garnement et dépensière de son ex-femme. apres tout, un esprit aussi malsain pourrait bien inventer pareille ruse.


- Mince alors je...

Elle avait perdu la piste, enfin, la pise était finie, et personne au bout. C'est en un instant, alors qu'elle se sentait observée, qu'elle comprit. Elle se retourna lentement. Khyrra émergea lentement du fouré où elle avait trouvé refuge pour la nuit. Méfiante, elle ne quittait pas la iopette des yeux, se demandant bien pourquoi celle-i l'avait suivie le lendemain de leur rencontre. Le jour même, elle aurait compris, mais attendre une nuit... cela lui échappait.

- Si c'est moi que tu cherchais, et bien tu m'as trouvée. Dans le cas contraire, passe ton chemin, je ne suis pas d'humeur à papoter aujourd'hui.

La sacrieuse avait la mine défaite de ceux qui ont passé une mauvaise nuit. Des brindilles et feuilles dans les cheveux et les vêtements maculés d'humus, elle tenait plus du sadida émergeant d'une longue sieste au cœur des bois que de la flamboyante guerrière qu'elle avait pu être. Sa nuit n'avait été que prières et supplications envers une déesse qui était restée sourde à ses appels, et les ténèbres n'avaient pas eu la piété de lui accorder l'oubli du sommeil. Le retour de l'aube s'était accompagné d'un vide grandissant qui lui coupait le souffle et toute envie d'agir. A vrai dire, elle ne songeait plus qu'à attendre que la faim, la soif ou une quelconque créature sauvage vienne mettre fin à son malheur.

Mais la iopette ne semblait pas décidée elle non plus à quitter cet endroit.


- Que me veux-tu?

 

- Je veux savoir ce qu'une étrangère vient faire dans la maison la plus éloignée d'ici, qui n'a pas vu d'autres occupants que les miens pendant longtemps...

La Iopette mit doucement la main sur le pommeau de son épée, le corps penché légèrement en avant. Elle avait eu le temps d'apprécier le calme relatif de ces années passées sans ennuis pour savoir réagir a l'arrivée d'autres ennuis avec la force appropriée.

- Je veux savoir qui tu es, toi, et tu vas me répondre.

Arhannor ne plaisantait pas. Quand il s'agissait de protection, de serment ou de devoir, elle n'avait aucun humour. De mémoire d'homme, elle n'en avait jamais eu à ce sujet. La fidélité était sa grande qualité et elle pouvait se vanter d’être l'un des piliers de cette valeur. Or, elle avait fait le serment de protéger la maison et ses habitants de l'influence de Sacrieur, et il semblait qu’aujourd’hui soit le jour ou ce serment serait mis à l'épreuve.

- Par Iop, je te somme de répondre.

 

- Oui, je vais te répondre, je ne suis pas venue jusqu'ici pour me battre. Du moins, plus maintenant. Mais avant...

Khyrra balaya la zone du regard, à la recherche d'une parcelle de terrain moins envahie par la végétation. Elle finit par dénicher un espace couvert de mousse à l'ombre d'un grand chêne et s'y dirigea. Elle dégrafa sa cape, dévoilant ainsi la longue cicatrice qui lui courrait le long de la colonne vertébrale, et l'étala sur le sol avant de s'y assoir. Elle reporta alors son attention sur la iopette et lui fit signe de s'approcher.

- Excuse-moi, mais je suis fatiguée de la route que j'ai du faire ces derniers jours et la nuit a été des plus courte. Comme je te l'ai dit hier, mon nom est Khyrra Zull, autrefois j'ai vécu ici, avant que Sacrieur...

Comment avouer à une inconnue qu'elle avait connu la mort et qu'une déesse capricieuse avait décidé de poursuivre son supplie en la renvoyant vers une autre existence physique, en la privant de ce qui comptait le plus pour elle? Qui pourrait comprendre? Elle choisit d'éluder le sujet pour l'instant, histoire de ne pas passer pour une folle échappée de l'asile du coin.

- Que Sacrieur ne décide de me faire suivre une autre voie. La demeure que tu habites désormais fut à moi il y a quelques années, et à ma famille avant ça. J'espérais y retrouver un être cher, ainsi que mes enfants, mais ils ont dû quitter cet endroit ou alors ils ont refait leur vie. Dans les deux cas de figure, je vais te laisser retourner à ta tranquillité, je ne tiens pas à voir souffrir qui que ce soit en dehors de moi aujourd'hui.

 

- Si tu es vraiment celle que tu dis être...

Arhannor bouillonnait, car il n'y avait en vérité que deux fins possibles : ou c’était vrai, ou c’était une ruse. La raison faisait pencher la balance en faveur de la seconde proposition, cependant, Arhannor savait bien que la raison et ses limites avaient été malmenées par les actes de Khyrra de nombreuses fois auparavant.

- Alors tu dois connaître le vieux Eorhlinghas, cette raclure.

Arhannor avait pitié d'elle-même lorsqu'elle comença sa phrase. Elle avait toujours, dans sa longue vie, eu horreur des gens qui employaient ces méthodes, mais dans une telle impasse, ce sont ces méthodes qui lui semblaient les meilleures.

- Je les ai vus quand nous nou sommes installés. Il m'a défié et je l'ai tué. Toutes mes condoléances.

Elle se mit aussitôt sur ses gardes, dans l'attente d'une quelconque réaction.

 

Son coeur manqua un battement dans sa poitrine et Khyrra bondit sur ses pieds, le regard brillant de colère. Alors qu'elle s'approchait lentement, sa fatigue sembla s'envoler sous l'action de l'adrénaline. Même désarmée, à cette instant, elle était prête à venger l'homme qu'elle aimait, même si cela signifiait étriper son adversaire à main nue.

- Eorh n'avait rien d'une raclure, pouffiasse! Il avait ses défaut, mais c'était un iop droit et fier à défaut d'être totalement honnête. Il te valait cent fois et si tu l'as réellement assassiné, alors ce devait être d'une fourberie inouïe, car il était puissant dans la voie de Iop.

Sa voix est sourde, grondante, et elle contenait à grand mal la rage qui montait en elle. Elle n'était maintenant qu'à quelques pas d'Arhannor et la magie crépitait entre ses mains.

- J'ai vu Theo, que lui as-tu promis pour qu'il laisse son père mourir? Ou alors ignore-t-il qui tu es réellement? Et où est ma fille? Je te conseille de parler, parce que j'arracherais ces réponses à ton cadavre en prenant tout mon temps pour te faire expier la mort ce celui que j'aime!

 

- Pas de doute, c'est bien toi. La menteuse, la traîtresse, la fausse !

Arhannor s'approcha l'épée pointée devant elle, la pointe presque au contact de la sacrieuse.

- Pas de doute, tu reviens pile au bon moment pour flanquer le bordel quand tout s'est a peu pres calmé, réclamer ton du et me faire comprendre que je suis de trop ! Qu'il est temps que je retourne a mon rôle de chienchien au second plan !

Elle s'avança encore, manquant d'empaler violemment la sacrieuse

- Eh bien je te dis non ! Tu ne mérites pas de franchir le seuil de ta propre maison ! D'ailleurs, si tout ce que tu as dit était vrai, de une, trouve un seul moment ou je t'ai fait défaut, et de deux, tu m'aurais reconnu, malgré l'apparence...

Une fois cette phrase dite, Arhannor se mit a pleurer, de tristesse et de colère mêlées.

 

- Tu m'aurais reconnu...

 

Khyrra se figea, stupéfaite. Menteuse,traîtresse, fausse... Qui était cette femme pour la traiter ainsi? Pourtant, elle ressentait une certaine proximité pour cette femme, l'impression de la connaitre de longue date et surtout, quelque chose de plus profond, qu'elle n'avait pas éprouvé depuis longtemps. Elle l'observa et nota des ressemblances frappantes.

- Eorh? C'est toi? Comment est-ce possible? Tu es...

Les larmes de la iopette suffirent à briser sa range et à conforter son ressenti. Au delà des apparences, c'était bien son mari qu'elle projetait de tuer l'instant d'avant. Une fois de plus, elle allait encore tout détruire sur un coup de tête.

- Tu ne m'as jamais fait défaut, tout ce dont j'ai pu t'accuser n'était qu'écran de fumée pour masquer mes propres fautes. Tu as été bien plus fidèle que je ne te l'ai jamais été et bien plus que je ne le méritais. Eorh, je ne suis pas revenue pour te prendre ta vie, ni quoi que ce soit. A vrai dire, je ne sais même pas pourquoi je suis en vie maintenant, ni même si je vais le rester. J'ignore même si la grâce de la déesse est une seconde chance ou une malédiction pour que j'expie ma vie antérieure.

Elle empoigna la lame de l'épée de la main droite, s'entaillant les doigts sur le métal acéré. Son sang se rependit sur la la lame et s'égoutta lentement sur le sol, sinistre horloge de cet instant critique.

- Mais si tu penses réellement que je ne peux t'apporter que malheur et souffrance, alors...

Elle écarta l'arme de son ventre mais la remonta à hauteur de son coeur et l'appuya contre sa peau. Dans ses yeux se lisait une infinie tristesse et la volonté d'en finir.

- Débarrasse-toi de moi. Je n'ai pas de raison d'exister sans toi.

 

- Et moi donc.

Arha lâcha l'épée, saisit d'un geste vif la nuque de la sacrieuse et lui donna un baiser passionné. Elle serra la sacrieuse contre elle, et en l'empechant presque de respirer continua a l'embrasser.

- Je t'aime, Khyrra. Peu importe ce a quoi je ressemble, je suis toujours ton ame soeur. Celle qui t'a toujours accompagnée ou suivi oniriquement.

Elle regarda la sacrieuse dans les yeux, et déglutit.

- C'est en général à ce moment la que je me fais poignarder a mort, ou pas très loin...

Un instant de stress commença alors, Arhannor attendait une réaction, hostile ou non.

 

Khyrra tressaillit, la remarque lui avait fait l'effet d'une douche froide. Pourquoi fallait-il toujours que le passé se mêla du présent.

- Oublie ce que j'ai pu te faire, je ne suis plus la Khyrra d'autre fois, ou du moins je m’efforcerais de ne pas y replonger.

Afin de ne pas lui laisser la possibilité de protester, elle l'embrassa avec fourgue, longuement, comme si ce devait être leur dernier baiser, et le premier depuis plusieurs années. Puis elle nicha nicha son visage dans son cou, respirant ses cheveux et s'imprégnant de son odeur, certes plus féminine désormais, mais si familière. Quelques larmes de joie et de soulagement perlèrent au coin de ses yeux, elle se sentait plus légère, comme déchargée d'un immense fardeau. Serrer un corps de femme contre elle lui était déconcertant voir un peu gênant. Et dire qu'elle avait tellement chambré sa soeur sur ses affinités affectives quelques années plus tôt... Le destin la forçait une fois de plus à remettre ses convictions en question et à réfléchir à ce qu'elle voulait faire de sa vie.

- Tu m'as tellement manquée... Si tu étais mort... euh morte, ou si tu n'avais rejetée, jamais je n'aurais pu continuer à vivre. Je crois bien que j'aurais été capable de mettre le feu au temple Sacrieur et de m'y immoler en maudissant ma déesse, quitte à y perdre mon âme pour de bon cette fois.

Elle se tue un instant, savourant l'instant avant que le charme ne se brise et que le monde ne se remette à tourner pour les replonger dans le chaos qui était leur quotidien.

- Il faudra quand même que tu m'expliques comment ou pourquoi tu es devenue ainsi... Si femme... J'aimais bien ta virilité passée quand même.

 

- Il y a certaines choses de mon passé que j'aimerais également oublier. Des sacrifices que j'ai du faire, pour avoir la force de porter le fardeau qui est le mien...

La Iopette resserra son étreinte, prise au coeur par la douleur de souvenirs encore cuisants. A vrai dire, elle avait l'intention de garder pour elle, jusque dans la tombe, tout ce qui avait suivi la mort de khyrra.

-
La charge que j'avais pour moi seule était lourde. Je ne pouvais recruter personne pour m'aider. Mais j'ai tenu bon, quelques temps. Apres, une maladie m'a rappelé mon age, et mon corps commençait a ne plus suivre. J'ai donc utilisé mes connaissances en magie noire pour trouver de quoi rajeunir...

La Iopette embrassa le front de la sacrieuse, pour la rassurer, mais surtout pour éviter le regard de celle-ci.

-
Je dois dire que ça a réussi, mais ça a demandé de réaliser un phénomène exceptionnel, et des sacrifices que peu auraient voulu payer... J'avais besoin de garder la vitalité qu'implique la jeunesse... J'espère que tu comprends ce pourquoi j'ai sacrifié ce que j'ai perdu. Je devais rester fidèle aux promesses que j'ai faites à la sacrieuse de ma vie, pensant que je serais seule a jamais...

Khyrra éclata de rire et posa sa tête sur la poitrine de la iopette. C'était si bon d'être enfin réunies, sans une guerre ou une dispute futile pour les séparer. Cela lui prendrait certainement un peu de temps, mais elle finirait par s'adapter à cette nouvelle situation, comme toujours, c'était juste.. déconcertant sur le moment.

- Si tu espères donner un cours sur le sens du sacrifice à une sacrieuse, tu vas avoir du boulot. Il m'a fallu trente ans pour vraiment le comprendre et encore plus pour accepter ce que ça impliquait comme responsabilités et pertes. Ma vie pour les vôtres, c'était ma leçon et je ne la regrette pas. Mais il m'a encore fallu apprendre qu'un sacrifice, même aussi ultime, ne pouvit pas rester sans conséquence. Je suis morte en égoïste, je ne l'ai réalisé qu'en vous sentant souffrir. Pour revenir, il m'a fallu accepter de perdre autre chose, mais je crois que j'aurais volontiers tuer ce qui n'est cher pour passer ne serait-ce qu'une nuit de plus avec toi. Un jour peut-être que nous pourrons nous confier...

Gênée, elle baissa les yeux, quelque peu honteuse d'avouer ses faiblesses. Il restait des secrets qui ne pouvaient être dévoilés aussi abruptement.

- Nous aurons toute la vie pour nous raconter tout cela, maintenant que fait-on? Il est deux autres personnes que j'aimerais fortement serrer contre mon coeur.

Son estomac se rappela alors à elle en un grondement sourd et affamé. la sacrieuse esquissa une grimace, voila qui cassait bien son image de grosse brute inébranlable.

 

- Ils ne sont pas la... Theodred va et vient comme une ombre plus que comme un être de chair et de sang, quand à Ely, elle est en sécurité, au temple Iop avec de bons amis a moi.

Cette phrase pouvait choquer, alors Arhannor haussa les épaules et ajouta

- Qui irait chercher ta fille la bas ? Et hélas, je n'ai pas le choix, il semblerait que ma soudaine appartition dans la maison de tes parents, sous cette forme j'entends, ait éveillé des soupçons et que je sois observée. Dans le doute, j'ai préféré jouer la sécurité. En plus, ça n'est pas vraiment un endroit dangereux.

Elle enchaîna.

- Viens te restaurer a l'intérieur, mon amour. J'ai fait le plein de provisions. Cela dit, il faudra t'accomoder d'un service un peu ...cavalier.

Elles entrèrent, et Arhannor fit délicatement s'asseoir Khyrra et une chaise, une des dernières encore en état.

- En somme, il faudra se servir nous mêmes, et ne pas espérer manger chaud avant que j'aille chercher du bois demain.

Joignant le geste à la parole, elle déposa du pain, de la viande sechée et amena un fut de bière dont elle tira deux coupes, qu'elle posa devant elles. En lui servant a manger, elle lui attrapa la main, et l'embrassa doucement.

- Certains remercient les dieux avant chaque repas, je ne le fais jamais, mais je remercie les dieux de t'avoir ramenée jusqu’à moi...

 

Khyrra s'assombrit.

- Il n'y a guère que Sacrieur à remercier dans cette affaire, quoi que je doute que son geste reste gratuit. Mais oublions ça, profitons de l'instant présent.

Elles attaquèrent leur repas avec enthousiasme : bien que simple, la nourriture paraissait un véritable banquet à la sacrieuse après ces jours de disette. Manger avait toujours été un plaisir apprécié de Khyrra, de même que ce battre, mais ce dernier point n'était pas à l'ordre du jour et elle n'était pas spécialement pressée d'y replonger. Peu à peu, l'incertitude des retrouvailles laissa à une connivence retrouvée et la discussion dériva vers des sujets plus communs.

- Qu'est-ce qui s'est passé ici ?

La sacrieuse parcourut la grande salle du regard : le mobilier semblait avoir pris plusieurs centaines d'années ou d'avoir connu diverses batailles de taverne, sans compter l'épaisse couche de poussière qui recouvrait leur surface, gardant l'empreinte des objets qui y avaient séjourné. Arha se contenta d'un grognement tout en s'absorbant dans la découpe d'une miche de pain.

- Ah... Je comprend. Iop n'a pas jugé bon de t’inculquer un minimum de compétences féminines en plus de ce corps. Comme quoi, il ne faut pas compter sur les dieux.

Elle se permit un petit rire, de peur de vexer la iopette, mais celle-ci semblant goûter à cet humour, toutes d'eux partir d'un grand fou rire.

- Heureusement je suis de retour ! Nous allons remettre tout cette baraque en état et faire revenir ici Ely et Theo, enfin, s'il peut un jour me pardonner et accepter de vivre sous le même toi que moi. Je te jure que j'en ai fini avec les clans, les guerres et tout ce merdier. Je veux vivre avec vous, juste vous, avec peut être une petite escapade de temps en temps pour garder la forme, mais je ne veux plus de ces conflits qui nous ont séparés. Juste toi et les enfants.

 

- Est-ce vrai ? Ou une simple phrase lancée jusqu'au prochain vieillard en guenilles te suppliant de reprendre son héritage ?

Arhannor regarda la sacrieuse dans les yeux, un peu de défi dans le regard. Khyrra n'avait pas du tout l'âme casanière. Elle avait suivi beaucoup de gens, louches pour la plupart, dans des aventures dangereuses et désastreuses.

- Pour Theodred, je pense que tu peux oublier, il n'est plus vraiment un enfant, c'est mieux pour tout le monde qu'il ne se fixe nulle part. Il aime a jouer les esprits frappeurs, une lubie récente...


La Iopette rompit le pain et en dévora avec force une belle partie, la bouche encore pleine, elle articula quelques mots semblant surgir d'un coup. Puis se ravisa, déglutit et soupira.


- J'ai quand même du mal a te voir en femme au foyer, quel changement... En as-tu vraiment envie ?

Arhannor songea alors qu'elle n'était pas la mieux placée pour parler de changement, elle se tut et continua de manger, attendant la réaction de la sacrieuse.

 

- Cela te semble donc si improbable que je veuille me ranger? Je ne suis plus la jeune fofolle inconsciente et impulsive, j'ai quand même un peu mûrie, je suis morte, j'ai vu et ressenti les conséquences de mes actes, je sais ce que cela nous a coûté à tous...

Khyrra baissa les yeux, reconnaitre certains éléments de son passé lui était encore pénible. Histoire de cacher son trouble, elle saisit son verre et entreprit de le vider à petites gorgées, en jetant des regards furtifs à la iopette. Elle ne savait plus trop que penser, alors qu'elle espérait que ce changement de vie serait accueilli avec joie. Finalement, une fois la dernière goute absorbée, elle dut se résoudre à reprendre la conversation.

- Rassure-toi, je ne veux pas devenir une brève petite femme au foyer. Je veux juste une vie plus calme, profiter des miens sans devoir foncer tête baissée sur le premier combat venu. Les mercenaires, Bonta, Brakmar, c'est fini ces conneries. Je ne vais pas te mentir, je ne me vois pas non plus devenir inactive et ranger mes armes, mais je veux que cela soit plus réfléchi. Bien entendu, si quelqu'un s'en prend à l'un de nous, il le paiera dans le sang et la douleur, je reste sacrieuse.

 

- Une sacrieuse au tempérament des plus explosifs...

La Iopette posa son verre et regarda la sacrieuse dans les yeux.

- Mais c'est pour ça que je t'aime. Pauvre de moi, maudite de nombreuses fois !

La Iopette rit, et, pour montrer qu'elle n'en pensait rien, embrassa la main de la sacrieuse en lui souriant. Elle pressa ses lèvres contre la paume et ferma les yeux, pour profiter un peu de l'odeur de l'hémoglobine sur les mains de Khyrra. Cette odeur si familière lui avait tellement manqué.

- Je t'aime, depuis toujours, dans le mépris, dans la guerre, comme dans la paix. Je te fais confiance, mais ne compte pas sur moi pour rester inactif si tu es en danger. Tu sais que je suis quand même une Iopette, je reste donc prêt a tout pour aider ceux que j'aime, y compris au plus fou !

Elle se leva et prit un petit coffre.

- Bref, je crois que marcher, et parler en prenant l'air nous ferait le plus grand bien, et nous débarbouiller également. Enfin, surtout toi, on dirait que tu véneres le dieu arbre ! Allons nous laver dans la rivière kawaii qui n'est pas loin.

 

La sacrieuse prit un air offusqué.

- Je voudrais bien t'y voir toi, essaye de voyager à travers la campagne sans guère d'argent. J'ai surtout pensé à me nourrir avant de m'offrir une nuit dans une auberge et un bain chaud. La prochaine fois que tu me compares à une salade, je te fais avaler une salade de pissenlits diaboliques vivants !

Les sourcils froncés, elle fixa la iopette quelques secondes avant d'éclater de rire.

- Oui, allons nous récurer, tu seras de corvée pour me frotter la peau jusqu'au sang, il faudra bien cela pour décrocher la crasse qui me colle au corps depuis des jours. Mais aurais-tu quelques vêtements propres et en meilleur état que les miens ?

- J'ai gardé tes anciens effets. Je... Je n'ai pas pu me résoudre à les brûler après t'avoir perdue. Un souvenir en quelque sorte...

La iopette détourne la tête, comme pour cacher son trouble, posa sa coffre et disparut une dizaine de minutes dans une des pièces adjacentes. Pendant qu'elle farfouillait dans divers coffres, Khyrra regroupa verres et couteaux et débarrassa la table des restes de leur repas : quelques gouttes de plus dans l'océan de ménage qu'il lui faudrait vider dans les prochains jours. Arhannor revint alors les bras chargés de vêtements.

- J'ai bien fait au final de garder toutes ces vieilleries !

- C'est toi la vieillerie ! Et puis, tu n'as qu'à m'offrir une nouvelle garde robe si l'ancienne ne te plait plus.

Toutes deux s'embrassèrent et Khyrra se chargea de la pile de tissus tandis qu'Arhannor récupérait son coffret. Toutes deux sortir main dans la main et prirent le chemin de la rivière.

 

- Si tu m'avais laissé l'emplacement du trésor des Erinyes, je t'aurais volontiers payé une garde robe complète de princesse, mais hélas, point de trésor !

Arhannor rit, serrant doucement la main fine de la sacrieuse, effleurant de sa peau les marques habituelles des sacrieurs. La iopette guida la sacrieuse sr le vieux chemin, qui n'avait pas changé. Les roseaux étaient fournis, et faisaient un peu de bruit avec le vent léger qui se levait en cette douce matinée. Elles marchèrent quelques minutes jusqu’à un ponton de pêche, déserté à cette heure de la matinée, sur lequel la Iopette posa le savon et les vêtements propres.

- Nous y voila, ma salade d'amour !

Arhannor entreprit d'enlever ses épaulettes et ses bracelets afin de détrouner l'attention et de ne pas manger une salade improvisée avec l'herbe alentour, puis elle toisa la sacrieuse.

- Hum, je crois que tes vêtements sont si sales qu'il n'y qu'une seule solution...

La iopette enleva et jeta sa tunique, puis poussa la sacrieuse à l'eau. Elle rit puis plongea nue dans la rivière.

Surprise, la sacrieuse creva l'onde dans une gerbe d’éclaboussures mais elle eut tout aussi vite fait d'émerger, furieuse et crachant l'eau involontairement avalée.

- Tu vas me le payer sale iopette ! Je vais te faire boire cette satanée rivière jusqu'à sa source ou tant que tu te sois totalement dissoute dedans !


Empêtrée dans ses vêtements lui collant au corps, Khyrra s'ébroua, arrosant son acolyte de gouttelettes, et se déshabilla à son tour sous le regard connaisseur de la iopette. Affectant une fausse pudeur, elle minauda quelques instants, laissant Arhannor se rincer l'oeil à loisir.

- C'est toujours les mêmes qui en profitent n'est-ce pas ? Et moi alors ? Je devrais peut-être aller me trouver un mignon du côté de Madrestram, un beau corsaire musclé et balafré, ou un solide docker tanné par le soleil, qu'en penses-tu ?

Le sourire aux lèvres, elle se glissa sous l'eau et nagea jusqu'à rejoindre Arha. Toute à leur bonheur de se retrouver, elles jouèrent comme deux enfants jusqu'à se retrouver hors de souffle. Alors, elles prirent enfin le temps de se savonner mutuellement.

Plus tard, allongées sur le ponton, elles laissèrent le doux soleil matinal les sécher. Khyrra se décida enfin à aborder certains points.


- Pour info, il n'y a jamais eu de trésor chez les Erinyes, ou du moins pas dans le sens où tu l'entendais. Chacun faisait ses profits dans son coin, le clan en lui même n'avait guère d'or dans ses coffres. Sa véritable richesse, et c'est la seule chose que j'ai sauvée, ne te rapporterait même pas de quoi te payer une bière et un civet de sanglier à la première taverne venue. Qui voudrait d'un vieux bouquin moisi et d'une épée en miettes ?


Elle haussa les épaules : il ne restait vraiment plus rien de l'ancien clan, hormis des rumeurs et des rancœurs.

- Ce maigre butin, je l'ai caché, avec une partie de ma propre fortune. Peut-être qu'un jour, les Erinyes trouveront un héritier digne de ce nom, en attendant, il vaut mieux les oublier. Je pensais sincèrement vous avoir laisser suffisamment pour quelques années, au moins jusqu'à ce qu'Ely sot assez grande pour s'assumer elle même. Alors, les enfants auraient récupéré ce qu'il leur revenait. Je suis désolée Arha, mais je n'ai jamais eu confiance en ton sens des économies, je dois avoué que j'avais peur que tu ne dilapides tout pour des futilités, ne serait-ce que pour élever un inutile tombeau à ma mémoire.

 

La Iopette se tourna sur le flanc, vers la sacrieuse. Elle lui effleura le ventre, à la peau encore humide, et y déposa un baiser. Elle s'assit ensuite, et essora ses cheveux.

- Ne t'en fais pas, je ne comptais pas sérieusement sur un trésor que je pourrais piller. Je tentais de faire de l'humour, mauvais, sur le mystérieux et légendaire trésor du clan défunt. En fait, toutes les commissions que le clan a perçu de nos contrats, je les connaissais, mais je parlais de ce que les rumeurs ont attribué au clan, et comme tu sais les rumeurs peuvent faire d'un tofu un énorme mulou ! Surtout avec le temps qui passe...

La Iopette tira a elle son coffre, et sortit un flacon de verre dont elle ôta le bouchon. Elle versa une huile parfumée sur le ventre de la sacrieuse et le lui massa doucement.

- Existe-il un mignon qui prendrait soin de toi de cette façon, après des années ?

Elle mit la sacrieuse sur le ventre et la chevaucha pour lui masser le dos

- Diantre, plus d'anciennes cicatrices... Comme si le temps n'avait pas eu d'effet sur toi... Te sens-tu plus forte qu'avant ?

Elle se rendit compte que sa curiosité, déplacée mais naturelle, pouvait déranger son épouse, elle changea donc de sujet.

- Nous parlions d'argent et de trésor, et, pendant ton absence, un marin a réussi a retrouver le chemin de frigost. As-tu déja entendu parler de ce lieu ?

 

- Tu sais, les paysans de l'Amakna profonde ne sont pas des plus renseignés quant aux dernières explorations des hommes de notre brave roi. Cela d'ailleurs, le jour où il tirera son cul obèse de son trône n'est pas prêt d'arriver...

Malgré les années, la sacrieuse gardait une rancune tenace envers ce roi et ses larbins qui avaient amenés la ruine sur les Erinyes, et elle s'en voulait d'autant plus d'avoir cédé aux sirènes d'un accord avec les puissances d'Amakna. Il aurait mieux valu pour les Erinyes de rester des loups affamés et pourchassés plutôt que les chiens asservis qu'ils avaient accepté de devenir pour gagner en sécurité.

Khyrra secoua la tête pour chasser ces mauvais souvenirs. Elle préféra ramener la conversation sur un terrain moins douloureux.


- Un corps tout neuf pour une vie toute neuve à consacrer à Sacrieur, pour racheter mon âme, voilà le pacte que j'ai passé. En même temps, il ne restait pas grand chose de ma carcasse pour la ressusciter... Mais parfois, mes cicatrices me manquent, je ne suis plus Khyrra la terrible sans, on dirait une jeunette qui vient de découvrir le monde, pas une guerrière au long court. Et puis, ces quelques marques glanées de ci de là me rappelait chaque jour mes échecs et mes succès, chacune avait son histoire. Au moins, j'avais de quoi causer avec mes amants.

Khyrra soupira d'aise tandis qu'Arha lui massait les épaules.

- Et toi ? Laquelle des Khyrra préfères-tu ? Que veux-tu savoir de la nouvelle ?

 

- Si la nouvelle sait bien masser son amour, et si je dois me préparer à chasser le prétendant...

La Iopette se retira de sur la sacrieuse et la fit s’asseoir pour l'embrasser. Elle embrassa la jeune femme dans le cou, et s'allongea doucement sur le ventre.

- A toi maintenant ! Pendant ce temps, si tu es douée, je te raconterai une histoire...

Elle ferma les yeux, quasi somnolente, pour se souvenir de tous les détails, en attendant que la sacrieuse commence son affaire. Il y avait longtemps qu'Arhannor cherchait a en parler. Trop longtemps.

- Tu te souviendras sans doute des mercenaires que nous avions intégrés peu avant la chute, et qui nous ont trahis ? Je ne t'ai pas parlé de ce qui s'est passé après. Et tu comprendras pourquoi. Pourquoi je me terre dans une maison d'apparence crasseuse, pourquoi j'ai éloigné Ely, pourquoi je suis toujours en vie... Si je n'avais pas eu la malchance de perdre ma... virilité... je ne serais probablement plus la pour une seance de papouillage et de nettoyage mutuel... Et il y a long a raconter...

La Iopette eut un instant de regard vide

- Tant a raconter... Des choses que je préférerais oublier.

 

- Tu sais bien que je n'ai jamais été douée pour la douceur et les choses de fille... Je vais essayer de m'appliquer, mais ne viens pas te plaindre après !

Khyrra se saisit du flacon d'huile et en versa une généreuse rasade sur le dos de sa compagne. Non sans une grimace de dégoût au contact très... huileux de la substance, elle commença le massage avec toute la délicatesse dont elle était capable.

- Qu'as-tu de si important à me dire après toutes ces années ?

 

 


 

 

 

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